Ecologie et spiritualité ignatienne 2020

Voici les quelques mots partagés par Geneviève Pavy (Xavière) lors de l' assemblée Générale Des Chemin ignatiens 06, le 18 Janvier dernier: 





Le thème de cette intervention a été suscité par un évènement qui n’est pas lié aux chemins ignatiens mais il se trouve que j’ai eu la chance (et je suis ignatienne) de participer à l’Assemblée des évêques à Lourdes en novembre dernier. Vous avez surement su que les 2 premiers jours ont été consacré à une réflexion sur l’écologie et chaque évêque était invité à venir avec 2 personnes de son diocèse. Bertrand Gorge et moi-même avons donc accompagné André Marceau. 
Cet événement fut extraordinaire, à la fois dans la forme et le fond qui se veut en écho à Laudato Si et dans une prise de conscience de la gravité de la situation de notre planète confrontée au changement climatique. En lien avec la démarche proposée par le pape François dans son encyclique qui remonte déjà à 2015, je vais essayer de pointer en quoi cette question écologique est en phase avec la spiritualité ignatienne. 
Avant je voudrai souligner que la démarche synodale que nous avons vécu à Lourdes, est chère au pape François qui promeut cette manière de faire Eglise pour lutter en particulier contre le cléricalisme. Cette manière de vivre, Ignace la recommande dans l’écoute commune de l’Esprit, l’écoute de l’autre jusqu’au bout qui sont préliminaires à tout discernement communautaire et à toute prise de décision. Ce que les compagnons ont pratiqué dans des délibérations à propos de l’avenir. 

En ce qui concerne les liens entre écologie et spiritualité ignatienne j’ai retenu 3 points : - Nature et création - Limites et respect - Conséquences et conversion

  1er point : Nature et création 
Les scientifiques analysent la planète, la nature, le changement de climat, et tout ce qui en découle. La planète est en quelque sorte un objet. 
Pour le chrétien la planète prend une autre dimension soulignée par Ignace dès le début des Exercices. Le texte du Principe et Fondement qui ouvre le livre commence ainsi : « l’homme est créé » et dans »la 2ème phrase il est dit : « les autres choses sur la face de la terre sont créées. » D’entrée de jeu Ignace nous situe dans la création et non pas dans la nature ou sur la planète et nous renvoie au premier chapitre de la Genèse et à l’acte créateur. Parler de création c’est faire référence à celui qui crée, qui donne vie, qui insuffle l’haleine de vie dans les narines de l’homme (Gn2,7) et en conséquence c’est établir une relation entre le créateur et sa créature entre le créateur et la création. C’est l’invitation à reprendre conscience que notre planète est un cadeau qui nous a été remis et qui nous invite au merci, à l’action de grâces et à reconnaître la trace laissée par Dieu dans sa création. 
Là aussi Ignace, tout à la fin des Exercices propose la Contemplation pour obtenir l’amour, qui conclue le parcours et place dans le concret de la vie de tous les jours. Dans le 2è point proposé pour prier il invite à « regarder comment Dieu habite les créatures, dans les plantes par la croissance, dans les animaux par la sensation, dans les hommes par le don de l’intelligence, par la vie et comment il fait de chacun son temple, nous ayant créés à son image et à sa ressemblance. » Dans le 3è point il invite à considérer comment Dieu peine et travaille en toutes choses créées en donnant l’être, la croissance…
Ce regard porté sur la création, nous invite à regarder notre environnement mais surtout nous met en relation étroite avec le créateur et entraine des conséquences dans notre agir, ce que je vais aborder dans les 2 autres points. 

  2ème point : Limites et respect 
Notre planète est « finie », avec des limites, ses ressources ne sont pas infinies. Tout le monde s’accorde sur ce point et les rapports du Giec préconisent l’arrêt de tout ce qui produit les gaz à effet de serre, ce qui veut dire arrêter de piller le sous-sol sans aucune retenue. 
 Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’avenir disait à Lourdes que de 1998 à 2018, donc en 20 ans nous avions puisé dans le sol autant que jusqu’en 1998 depuis le début du temps. Cela veut dire laisser dans le sol le pétrole qui n’en est pas encore extrait. 
Or cette attitude est présente dès la Genèse. Le récit nous montre Dieu organisant le chaos, établissant des séparations, attribuant une place à chacun que ce soit les astres, la terre, lamer, les plantes, les animaux. Il pose des limites à ne pas franchir comme le rappelle le Psaume 103 v 8 et 9 à propos des eaux : « tu mets une limite à ne pas franchir, qu’elles ne reviennent couvrir la terre. » Il pose des interdits : « de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas » Gn 2,17. La limite signifie la différence, ce qui constitue chacun. L’homme n’est pas Dieu et la terre lui et confiée pour la « cultiver et la garder » Gn 2, 15. Dans Laudato Si le pape François commente : « cultiver signifie …garder signifie… » N° 67. Et ceci en opposition à une interprétation du verset 28 du ch 1 où l’homme est invité à dominer et qui a été lu comme favorisant l’exploitation sauvage de la nature donnant une image de l’être humain dominateur et destructeur, justifiant bien des actes colonisateurs. Ignace dans le Fondement affirme que l’homme est créé pour louer et respecter Dieu et que les autres choses sur la face de la terre sont là pour l’aider à poursuivre sa mission. Le respect est donc une attitude fondamentale pour Ignace, respect de Dieu qui se traduit dans le respect de soi-même et de l’autre, dans le respect de toutes les choses créées. On peut dire que le respect de la planète auquel les écologistes nous invitent aujourd’hui dans un sursaut ultime pour préserver la vie est au fondement de la spiritualité ignatienne, enracinée dans la spiritualité biblique. Pour les chrétiens le respect des limites n’est pas lié à la survie mais est depuis toujours un acte d’accomplissement de notre être même, d’épanouissement en plénitude de ce que nous sommes invités à devenir, mais que nous avions peut-être un peu oublié, pris dans la vague consumériste qui domine notre société. 

  3ème point : conséquences et conversion 
Je vous invite maintenant à jeter un œil sur le futur dans la perspective d’une inaction programmée dont la COP 25 à Madrid en décembre est une belle illustration. Sans faire l’inventaire de toutes les conséquences du changement climatique il est certain que nous nous acheminons vers des zones terrestres qui vont disparaître ou devenir invivables et engendrer sans aucun doute des conflits pour l’accès à l’eau et à la nourriture, et provoquer des déplacements massifs de population vers des zones plus privilégiées. Ce phénomène a déjà largement commencé et l’on voit combien la résistance est grande pour accueillir les migrants. L’intérêt de Laudato Si est d’avoir mis clairement en lumière que tout est lié et qu’il s’agit « d’une seule et complexe crise socio-environnementale ». N° 139 et «la possibilité de solution réclame une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature ». S’engager dans cette voie nécessite de la part de tous les chrétiens une conversion écologique car « pour alimenter la passion de la préservation du monde, une mystique est nécessaire avec des mobiles intérieurs qui poussent, motivent, encouragent et donnent sens à l’action personnelle et communautaire. » Cette conversion implique : - Gratitude et gratuité : une reconnaissance du monde comme don reçu du Père qui entraîne des gestes gratuits de renoncement et des attitudes généreuses. - La conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures mais en communion universelle. - L’usage des capacités reçues pour développer créativité et enthousiasme, imposant une grave responsabilité qui naît de la foi. Protéger l’œuvre de Dieu n’est pas optionnel ni un aspect secondaire de l’expérience chrétienne. L Si N°220 Ignace ne renierait pas ce que préconise la pape François lui qui invite dès la première phrase du fondement à respecter et qui à plusieurs reprises dans les Exercices replonge l’homme dans la création. J’ai déjà évoqué la dernière contemplation pour obtenir l’amour et je voudrai ajouter la référence à la méditation des péchés. A la fin Ignace invite à rendre grâces pour la miséricorde de Dieu qui laisse en vie le pêcheur pardonné mais il invite aussi à avoir un cri d’admiration pour toutes les créatures : « les cieux, le soleil, la lune et les étoiles, les éléments, les fruits , les oiseaux, les poissons et les animaux et la terre : comment ne s’est -elle pas ouverte pour m’engloutir » N° 60 A la fin Ignace invite à s’amender avec la grâce de Dieu pour se mettre à la suite du Christ. Ce Christ humble fait un discours dans la contemplation des 2 étendards : « Cherchez à aider tous les hommes en les entraînant à la suprême pauvreté spirituelle et on moins à la pauvreté effective si sa divine majesté doit en être servie et veut bien les choisir » Exercices N° 146. Pauvreté effective résonne avec simplicité de vie pour permettre un partage avec tous et rétablit une autre hiérarchie de valeurs comme le souligne le pape François : « on peut vivre intensément avec peu, surtout quand on trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » N° 223. « Plus de liens, moins de biens » était un des slogans à Lourdes. Les mouvements laïcs qui parlent de « sobriété heureuse » à la suite de Pierre Rahbi et des Colibris sont dans la même ligne mais l’invitation à imiter le Christ en vivant la pauvreté évangélique devrait donner aux chrétiens une raison de plus pour s’engager sur cette voie. 

 Pour terminer je voudrai reprendre 2 points évoqués à Lourdes le mardi matin par les théologiens qui ont fait une relecture de ce que nous avions vécu la veille:

 Le premier point était l’invitation de Fabien Revol à ne pas confondre la sauvegarde de la planète et le salut en Jésus Christ. Sauvegarder la planète, doit être la préoccupation de tous quelles que soient nos convictions religieuses car il en va de l’avenir de l’humanité et la vie est un don inestimable pour que tous les chrétiens aient le souci de la préserver, mais nous savons aussi que cette vie terrestre n’est pas le dernier mot de l’humanité. Dans la foi nous croyons que le Christ est venu apporter gratuitement à tout homme cette possibilité d’accueillir en lui la vie de Dieu, qui nous établit en communion fraternelle et nous fait naître à une vie nouvelle, une vie qui nous plonge au cœur de Dieu, qui nous fait regarder le monde et l’autre au-delà du visible, au-delà de l’immédiateté, au-delà du seul regard matériel. Nous croyons que le monde est appelé à être transfiguré et que dès maintenant il est habité d’une présence qu’Ignace nous invite à « chercher et trouver Dieu en toutes choses ». 

 Le deuxième point souligné par Elena Lassida concerne le regard porté sur la réalité d’aujourd’hui qui peut être vue comme une menace, menace de mort, menace de disparition des plus vulnérables en écho au constat alarmiste des rapports scientifiques. Eléna nous a invité à transformer la menace en promesse que tout est encore possible si on s’en donne les moyens, promesse qui a goût d’espérance misant sur la réaction positive et la fraternité pour que la vie demeure possible. Dans cette perspective j’entends résonner le « davantage » cher à Ignace exprimé dans son désir de rassembler des compagnons et de venir en aide aux plus petits à travers les diverses œuvres fondées dès le début de la Compagnie, pour les enfants des collèges ou dans les colonies en valorisant le savoir-faire des indigènes. 

C’est ce regard d’espérance, dans un engagement concret qui sera source de joie, que je nous souhaite en ce début d’année et je vous rappelle que les formations permanentes organisent une 2ème journée sur l’écologie, le 28 mars aux Courmettes à laquelle vous êtes cordialement invités.

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