Echos de la fête de la famille ignatienne
Une centaine de personnes venant de la région et appartenant aux différents membres de la famille ignatienne se sont retrouvées samedi 5 décembre à Aix.
Après un temps de prière où chacun pouvait choisir sa formule : dialogue contemplatif, prière guidée ou évangile vécu, nous avons écouté une conférence à deux voix sur la spiritualité du pape François très intéressante et que vous pouvez trouver en annexe. Les agapes fraternelles ont conclu cette soirée qui permet de retrouver des amis éloignés géographiquement et de vérifier notre appartenance à une spiritualité commune qui nous fait vivre.
Après un temps de prière où chacun pouvait choisir sa formule : dialogue contemplatif, prière guidée ou évangile vécu, nous avons écouté une conférence à deux voix sur la spiritualité du pape François très intéressante et que vous pouvez trouver en annexe. Les agapes fraternelles ont conclu cette soirée qui permet de retrouver des amis éloignés géographiquement et de vérifier notre appartenance à une spiritualité commune qui nous fait vivre.
LA SPIRITUALITE DU PAPE FRANCOIS
Pendant cette conférence nous n’allons pas parler de la vie de Jorge Bergoglio ou de tous les événements vécus par lui depuis son élection comme pape, même si nous allons en évoquer certains. C’est de sa spiritualité que nous allons parler, pour mieux le connaître et le comprendre. En particulier, et c’est ce qui nous autorise à dire ce soir quelques mots, en quoi la spiritualité ignatienne éclaire son message et ses actions ?
Dans une première partie, nous parlerons de l'homme Jorge Bergolio et de sa spiritualité. Qui est cet homme duquel on se sent si proche et qui est si proche de son peuple ? Qui est cet homme qui rassemble, interpelle, fait grandir et cet homme qui dynamise notre Eglise ? D’où lui viennent cette force qu’on lui connaît, cette liberté pour affronter avec courage les questions les plus difficiles, les plus délicates ? D’où lui vient cette audace, cette créativité qui ne cessent de nous surprendre ? Quel est le feu spirituel qui l'anime et qui semble allumer d'autres feux chez d'autres personnes, dans l’Église et le monde ?
Ensuite nous nous attarderons sur la spiritualité ignatienne en pointant cinq notes caractéristiques qui permettent de saisir la manière de suivre le Christ qu'on peut reconnaître chez le pape François. Cette seconde partie suivra la dynamique et la structure du livret des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus.
A. La spiritualité d'un argentin jésuite devenu le pape François
1. Une homme marqué par la joie de l’Évangile
« La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus… Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours. »
Qui n’a pas entendu cette parole du Pape François dans le premier texte de son magistère écrit entièrement par lui (texte de 170 pages) et qui donne le ton à son enseignement : « La joie de l’Évangile » ?
Depuis le 13 mars 2013, journée mémorable pour le peuple chrétien en attente d’une fumée blanche, signe d’un don fait à l’Église et au monde, le pape François est le pape de la Joie ! Joie qui est don de l‘Esprit Saint. Joie qui est celle, écrit-il, de « ceux qui se laissent sauver par le Christ et qui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. » (La joie de l’Évangile, n°1) C'est la joie durable de celui qui s'est laissé sauvé par Jésus, tiré par lui de sa détresse.
Comment ne pas penser aux règles du discernement spirituel données par saint Ignace de Loyola dans les Exercices Spirituels ?
La première [règle] : le propre de Dieu et de tout bon ange est de répandre une véritable allégresse spirituelle dans l’âme qu’ils meuvent, en supprimant toute tristesse et trouble que le démon a introduits, alors que celui-ci, au contraire, par des sophismes qui présentent l’apparence du vrai, attaque habituellement cette allégresse qu’il trouve dans l’âme. (ES 329)
Le propre de Dieu est de donner la joie, et une joie durable capable d'enlever toute tristesse.
Cette allégresse a été palpable le soir de son élection. La consolation reçue par des millions de personnes au soir de son élection ne trompe pas. Une consolation spirituelle qui dure au cœur d’un combat…. Cet aspect sera traité dans la seconde partir de notre entretien de ce soir.
2. Un catholique venu d'Amérique Latine
L’élection d’un Pape polonais après de nombreux papes italiens avait fait l’effet d’un coup de tonnerre. Jean-Paul II a été un prophète en son temps, aidant l’Église à s'inscrire dans le contexte de la mondialisation et contribuant à la fin du système totalitaire communiste. L'Esprit du Seigneur a confirmé que son élection n'était pas un hasard. Il n’est pas impossible que le fait d’avoir un pape latino-américain ait aussi une incidence déterminante pour l’Eglise et pour le monde.
Jorge Bergolio est d’abord un homme qui a vécu et été façonné par un contexte latino-américain dont on peut retenir quatre caractéristiques majeures :
- une histoire « douloureuse » liée à la Conquête et aux dictatures de la 2ème partie du XXème siècle
- une pauvreté structurelle et des écarts de richesses particulièrement important au sein des sociétés
- une religiosité populaire très importante
- et en même temps une Eglise avec une culture sociale forte qui cherche à renouveler le monde dans le sens du bonheur humain, de la justice et de la paix et s’est exprimée notamment dans la théologie de la libération
Jorge Bergolio connaît, par les pauvres, ce qu’est la pauvreté, et ce que signifie choisir d’être « leur prochain »… Il s’est engagé avec eux et a choisi de renoncer aux honneurs, aux richesses, pour vivre en cohérence avec lui-même. Les auteurs qui ont écrit sur lui datent ce choix, cette « option préférentielle pour les pauvres » des années de sa formation jésuite, notamment quand il était au Chili. Il a vécu dans ce pays plusieurs expériences fortes de la pauvreté concrète et bien réelle dans les bidonvilles de Santiago. Ce sont ces expériences (et non les livres ou une idéologie politique) qui l'ont transformé en lui faisant découvrir une réalité sociale bien éloignée de celle de son milieu familial. Bergolio en gardera une certitude : c'est l'expérience de la réalité telle qu'elle est qui fait changer les hommes.
Du Chili, il écrit à sa sœur : « Les enfants sont dans une très grande pauvreté. Tu ne sais pas ce que c'est car tu n'as jamais manqué de nourriture. Pense bien à ce que je te dis : quand tu es joyeuse, beaucoup d'enfants pleurent ; quand tu t'assieds à table, beaucoup n'ont qu'un morceau de pain à manger ; et quand il fait froid, certains n'ont rien pour se protéger. »
Dans ce contexte latino-américain, les responsables de l’Église cherchent à faire apparaître la « nouveauté de l’Évangile ». Cela suppose une réelle expérience du Christ, décantée, purifiée, libérée de tous ces conditionnements contextuels et culturels, pour que la nouveauté de l’Évangile soit accueillie comme telle, identifiée et finalement reçue. Nous ne faisons peut-être pas assez ce travail en Europe car nous avons encore tendance à supposer que l’on a toujours été chrétiens.
3. Un religieux, jésuite
Jorge Bergolio est le 266ème pape de l’histoire de l’Église. 33 papes ont été issus d’un ordre religieux. Le dernier en date, Grégoire XVI, était un moine bénédictin, (1831-1846). Il n'y avait donc pas eu de pape religieux depuis plus de 160 ans. Ce qui n’est pas surprenant : le premier appel d’un religieux n’est pas de devenir évêque, cardinal, pape…
Que le pape soit religieux, cela s’entend, se voit… Il est bon d’ouvrir l’oreille à l’appel du pape François à tous les consacrés de par le monde parce que ce qu’il dit… il le vit d’abord pour lui-même ! Voilà ce qu’il leur a écrit dans une lettre le 21 novembre 2014 : 'J’attends que « vous réveilliez le monde », parce que la note qui caractérise la vie consacrée est la prophétie. Comme je l’ai dit aux Supérieurs Généraux « la radicalité évangélique ne revient pas seulement aux religieux : elle est demandée à tous. Mais les religieux suivent le Seigneur d’une manière spéciale, de manière prophétique ». Voilà la priorité qui est à présent réclamée : « être des prophètes qui témoignent comment Jésus a vécu sur cette terre… Jamais un religieux ne doit renoncer à la prophétie »' (29 novembre 2013).
Bergolio est religieux, religieux jésuite. Dans l'histoire de l’Église c’est la première fois qu’un jésuite est élu pour présider à la communion des Églises sur le siège de saint Pierre. Ceci est important bien sûr. En tant que jésuite, comme tous les jésuites, Bergoglio s’est engagé par des vœux définitifs et a été reçu dans la Compagnie de Jésus. Il s’est alors engagé à ne rechercher aucune responsabilité ou honneur dans l’Église. Il s’est aussi engagé à servir l’Église, par un 4ème vœu de disponibilité au pape pour les missions. En tant que fils d’Ignace, Bergoglio ne pouvait pas s’attendre à une élection… et pour les jésuites, c'était impensable.
Pour comprendre sa manière de gouverner l’Église il faut partir de son expérience comme jésuite. Un religieux qui reçoit un service d’autorité fait l’expérience de revenir à la base après des hautes responsabilités. Il ne fait pas carrière, mais rend service et retourne ensuite « à la base ». En outre, pour assister le supérieur d'une province jésuite, le provincial, une consulte, composée de jésuites, est constituée. Elle se réunit régulièrement pour conseiller le provincial dans sa charge. Les décisions ne sont pas soumises à un vote car c'est le Provincial qui décide. Mais avant de décider, il doit obligatoirement consulter et entendre les avis de ses consulteurs. Il en est de même pour le supérieur général ou pour un supérieur local. François, qui a été supérieur provincial, a nommé 8 cardinaux qu’il associe à son ministère apostolique de serviteur de la communion universelle pour gouverner l’Église. C'est une première dans l'organisation du gouvernement de l’Église. Et vous aurez remarqué qu'il a choisi des cardinaux de sensibilités différentes et de continents différents. Ce n'est pas un groupe d'amis, mais des frères dans le cardinalat qu'il choisit de consulter régulièrement et avec qui il travaille les dossiers afin d'éclairer son jugement avant de décider.
4. Un réformateur pour une Église davantage synodale
N'oublions pas que la Compagnie de Jésus est née en même temps que la Réforme protestante. Ignace a fait ses études à Paris pendant l’effervescence des années 1528-1535. Ignace est passé au collège Montaigu où avaient été Erasme et Calvin. Il a poursuivi ses études à Sainte Barbe, où Nicolas de Cop, disciple de Calvin, était le principal du collège en 1533. Les écrits de Luther son condamnés en 1534. Ignace et les premiers compagnons sont nés sur le terreau de l’humanisme, au temps de la Réforme. Ils ont porté en eux ce désir de revenir aux sources de l’Évangile, de réformer de l’intérieur l’Église et d’abord le clergé, de rétablir la dignité et l’autorité du pape malgré les scandales du Vatican, de vivre à la manière des Apôtres, d'être ordonnées prêtres au titre de la pauvreté et de faire connaître Jésus pauvre et humble. La volonté de réformer l’Eglise de l’intérieur fait partie des gènes des jésuites (et des ignatiens !), dans la démarche d’un amour profond de l’Église. Cela se sent chez le pape.
Le soir de son élection, le pape François s’est d’abord et clairement présenté comme l’Evêque de Rome, laissant apparaître ce qu’il a précisé et confirmé depuis que la synodalité, dans l’Eglise, doit dépasser le cadre d’une « formalité », mais qu’elle doit devenir le cadre d’un véritable engagement de communion, pour gouverner l’Église. Et c'est bien comme évêque de Rome qu'il lui revient de présider à la collégialité des évêques.
Si l’Église est une communion de foi entre ses membres, cette communion doit trouver les moyens de s’exprimer dans un vécu ecclésial : par la participation aux instances de fonctionnement et de décisions de la vie ecclésiale. La communion n’ouvre pas seulement à des droits, mais au devoir de prendre sa part dans la charge du fonctionnement de la vie de l’Église, et de ses orientations/décisions. De ce point de vue, l’expérience de l’Église latino-américaine est parfois « en avance » sur nos Églises européennes (parce que moins quadrillées que les nôtres historiquement et territorialement par le clergé).
« Une Église synodale est une Église à l’écoute, consciente qu’écouter est plus qu’entendre. Il s’agit d’une écoute réciproque, dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple des fidèles, le collège épiscopal, l’évêque de Rome : les uns à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, l’Esprit de vérité [Jean 14, 17], pour découvrir ce qu’il dit aux Églises [Apocalypse 2, 7]. » Dans ces phrases de son discours prononcées le 17 octobre 2015 pour le 50ème anniversaire de l'institution du synode des évêques, comment ne pas entendre un appel fort à entrer dans un discernement spirituel – si cher aux jésuites – un discernement qui concerne tout le monde dans l’Église. La Réforme passe par un retour à la synodalité.
5. Le désir d'une Église pauvre
Pour tous, Bergoglio est désormais le Pape François. Or, c’est la première fois dans l'histoire qu'un pape se fait appeler François. C'est d'autant plus étonnant que saint François d'Assise est le patron de l'Italie !
On connaît et on aime la figure de François d'Assise et son engagement pour réformer l’Église en la reconduisant vers son principe évangélique. Est-ce parce que la figure de saint François d'Assise est trop radicale dans la pauvreté comme dans l'humilité, comme le Christ lui-même, pour ne pas avoir osé prendre ce prénom plus tôt ? On connaît l'histoire de François a qui le Seigneur lui avait demandé de reconstruire son Église (« François va, et répare ma maison, qui, tu le vois, tombe en ruine ! » ).
Dès les premiers gestes et choix du Pape François, lorsque le soir de l’élection devant le peuple assemblée, sur la place saint Pierre, et devant le monde, il s'est présenté comme évêque de Rome avec toute la portée ecclésiologie de ce choix, lorsqu'il s'est incliné demandant la bénédiction au peuple de Dieu, lorsqu'il a fait le choix de loger dans l'hôtellerie Sainte Marthe et non dans les appartements pontificaux, pour être avec les prêtres de passage, mangeant et célébrant avec eux et le personnel, lorsqu’il a voulu payer sa note de frais, qu'il s'est présenté en gardant sa croix épiscopale et non la croix en or, lorsqu’il a laissé le trône et les habits sacerdotaux pleins de dorures lors des célébrations pour quelque chose de plus simple, et qu’il a choisi une voiture ordinaire... n’avons-nous pas pensé à la simplicité de François d’Assise ? On pourrait continuer longtemps avec les nombreux fioretti véhiculés par la rumeur populaire, et que nous connaissons tous, tellement nous avons été subjugués, nos cœurs touchés par cet homme qui a réveillé l'espérance de beaucoup. Face à tout cela, nous avons tous senti que nous étions témoins d'un tournant pour l’Église, que c'était l'esprit de saint François d'Assise. Alors, le Pape François, franciscain ?
Le pape lui-même raconte que lorsqu'il a été élu le cardinal brésilien Hummes, son voisin, lui a dit : "N'oublie pas les pauvres". Lorsqu'il a rencontré les journalistes qui avaient couvert son élection, il leur a dit avec une simplicité désarmante : « Comme je voudrais une Eglise pauvre, pour les pauvres ».
Les pauvres, les plus petits... On sait bien combien le pape François est proche d'eux, non seulement par son propre style plein de simplicité mais aussi en se rendant proche par des gens par le toucher, dans des immersions interminables dans la foule, prenant les enfants dans les bras, les malades et les personnes handicapées, embrassant, caressant, manifestant très concrètement la tendresse de Dieu pour les pauvres, les étrangers, les migrants, les prisonniers, tous ceux qui sont exclus et marginalisés de notre société. De plus il parle beaucoup des plus pauvres et de l’écologie. L'encyclique sur le défi écologique, Laudato si, est devenu en très peu de temps un texte majeur de la doctrine sociale de l’Église, mais aussi une référence pour bon nombres de responsables politiques. Pour ceux qui ne connaissent pas la spiritualité de saint Ignace et les jésuites, c’est évident que le Pape François vit de l’esprit de saint François d’Assise.
En fait si le pape François vit de l’esprit franciscain, c’est simplement parce qu’il vit de l’Évangile, comme saint François qui en était pétri, mais le pape François est bien jésuite. Lui-même l’a très clairement dit dans l'avion le ramenant du Brésil après les JMJ : "Je me sens jésuite dans ma spiritualité, dans la spiritualité des Exercices, dans la spiritualité que j’ai dans le cœur. Tellement que, dans trois jours, j’irai fêter avec quelques jésuites la fête de saint Ignace, j’irai dire la messe avec eux. Je n’ai pas changé de spiritualité : François, franciscain, non, je pense comme un jésuite". Sa proximité avec les gens, son sens pastoral, sa lutte contre la pauvreté et une économie de l’exclusion générée par le néolibéralisme, on peut les comprendre du fait qu’il est latino-américain, mais ça ne suffit pas, il faut revenir à sa spiritualité ignatienne.
B. Comment le pape François vit-il de la spiritualité ignatienne ?
Le Pape François est donc bien un jésuite. Au cas où vous en doutiez, vous devez maintenant en être convaincus ! Connaître la spiritualité qui l’a façonné aide à comprendre d’où viennent un certain nombre de ses paroles ou de ses actes qui sont imprégnés par l’expérience des Exercices Spirituels proposée par saint Ignace de Loyola.
Chaque pape est marqué par une spiritualité. Jean Paul II était marqué par saint Jean de la Croix, la tradition du Carmel, et une forte dévotion mariale. Benoît XVI était familier de saint Augustin, saint Benoît et la lectio divina. Dans la tradition chrétienne, une spiritualité est un chemin particulier qui passe par le Christ pour conduire au Père. C’est un accent, une couleur, une facette de la foi chrétienne qui est davantage mis en valeur et incarnée, une manière privilégiée de découvrir le Christ et d’entrer en relation avec lui.
Nous allons approfondir ce qui caractérise la spiritualité ignatienne, celle du pape François, en cinq notes que l'on retrouve très clairement chez lui. Nous le ferons dans l’ordre chronologique où ces notes se présentent dans la démarche des Exercices.
1. Tout commence par une expérience, celle de la miséricorde du Christ
Pour Jorge Bergoglio, la foi est d’abord une expérience : celle d’une rencontre avec le Dieu de la miséricorde, de la passion et de la compassion pour tout homme. C’est ce Dieu-là que révèle toute la vie de Jésus. C'est ce Dieu-là qui transforme celui qui en fait l'expérience, jusqu’à lui permettre d’accueillir en vérité sa propre condition humaine à la lumière de la foi. Sans la forcer. Sans la cacher. Ni à soi, ni aux autres. Et indépendamment de ce que l’on a pu être ou vivre avant (cette rencontre) ou devenir ensuite, dans la société, ou même dans l’Église.
Ainsi, lorsqu’on lui demande comment il pourrait se définir (cf interview aux revues intellectuelles jésuites), il répond : « Je ne sais pas quelle est la définition la plus juste… Je suis un pêcheur. C’est la définition la plus juste…Ce n’est pas une manière de parler, un genre littéraire. Je suis un pêcheur ». Et il ajoute avec humour : « Si, je peux peut-être dire que je suis un peu rusé, que je sais manœuvrer, mais il est vrai que je suis aussi un peu ingénu. Oui, mais la meilleure synthèse, celle qui est la plus intérieure et que je ressens comme étant la plus vraie est bien celle-ci : je suis un pêcheur sur lequel le Seigneur a posé son regard.(…) »
Telle est la nouveauté de l’Évangile : la rencontre avec le Dieu de Jésus Christ nous confère une nouvelle identité, une nouvelle manière de se voir soi-même, de se comprendre, de s’accepter, et même de se présenter aux autres « parce que le Seigneur a posé sur moi son regard » et j’ai fait l’expérience que ce n’était pas un regard de jugement, d’évaluation (très à la mode les évaluations dans notre culture), mais un regard d’amour, de vérité, de salut, un regard qui libère et rétablit une relation. Cela change tout : plus besoin de se raconter des histoires ou de jouer un personnage ensuite, c’est reposant ! Et il n’y a qu’avec Dieu que nous pouvons faire cette expérience. C’est ça la nouveauté de l’Évangile. Et son universalité.
Les Exercices Spirituels font entrer de manière très concrète dans cette expérience. C'est l'expérience d'Ignace de Loyola : Dieu me transforme en profondeur quand j’accepte de me situer devant lui en pécheur pardonné.
Cette expérience bouleversante de la rencontre du Christ, Jorge Bergolio l'a fait dès sa jeunesse. A 17 ans, le jour de la saint Matthieu, Bergolio entre dans une église et va se confesser… En sortant, il est transformé et sait qu'il deviendra prêtre. N'oubliez pas sa devise comme évêque de Buenos Aires qu'il a gardée comme évêque de Rome : miserando atque eligendo. Il revient sur ce choix dans la bulle d'indiction du jubilé extraordinaire de la miséricorde :
« Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze. Commentant cette scène de l’Evangile, Saint Bède le Vénérable a écrit que Jésus regarda Matthieu avec un amour miséricordieux, et le choisit : miserando atque eligendo. Cette expression m’a toujours fait impression au point d’en faire ma devise. » (n°8)
2. Tout se poursuit avec le Christ qui appelle « ses serviteurs et amis »
L'expérience personnelle d'Ignace est comme la matrice du chemin des Exercices Spirituels : une pédagogie de la suite du Christ, une manière de découvrir comment le Christ me rejoint et m'appelle à vivre avec lui. Cette expérience spirituelle prend la forme d’une conversion qui s’incarne dans le temps, petit à petit. Une conversion qui nous tourne, sans forcer les choses, vers la réponse que nous avons à donner à un appel.
Au cœur des Exercices spirituels proposés par saint Ignace à ses contemporains, se trouve cette manière de se déterminer pour Dieu au cours d’une retraite, dans la contemplation du Christ des Évangiles. Et dans cette manière de se rapporter au Christ, l’expérience de l’appel que lance Jésus à tout homme est première.
En effet, après avoir été celui qui me regarde avec tendresse et miséricorde (et qui me donne de renaître), le Seigneur est celui qui s’adresse à chaque personne en particulier (et donc à moi aussi), à ceux qu’Ignace nomme avec tendresse « ses serviteurs et amis » (Ex. 146). Il veut les associer à la grande entreprise de salut du monde à quoi la vie du Christ mort et ressuscité peut être ramenée (Ex. 95). A leur manière, les Exercices constituent comme un écho, comme une caisse de résonance intérieure à l’appel lancé aux disciples dans l’Évangile.
Cette ouverture à l’appel du Christ est présente dès le début des Exercices. Ignace invite ainsi à méditer sur la figure du Christ en croix, en un long colloque personnel. Avec audace, il est fait appel à l’imagination du retraitant, pour qu’il se représente à lui-même ce moment de la Passion : « Imaginant le Christ Seigneur devant moi et mis en croix, faire un colloque : comment, de Créateur, il en est venu à se faire homme, à passer de la vie éternelle à la mort temporelle, et ainsi à mourir pour mes péchés» (Ex. 53). Dolorisme, insistance sur les péchés, complaisance à s’appesantir sur les plaies du Crucifié ? Ce n’est pas à l’évidence le propos d’Ignace qui invite, immédiatement après, le retraitant à un examen personnel décisif et positif : « De même, me regarder moi : ce que j’ai fait pour le Christ, ce que je fais pour le Christ, ce que je dois faire pour le Christ. Puis le voyant dans cet état, suspendu ainsi à la croix, parcourir ce qui se présentera à moi » Par le signe de la Croix, Dieu manifeste son amour, mais cet amour lance un appel dynamique, il invite à retourner à son propre cœur pour le remettre à la disposition du Christ. Il s’adresse à une liberté de manière directe.
Le pape François a entendu cet appel, de façon nette, notamment lors de sa conversion, lors d’une confession, et ensuite dans les années de formation, au sein de la Compagnie, et surtout durant ses retraites annuelles selon les Exercices (8 jours chaque année, plus deux fois les 30 jours). La façon dont il renvoie à la Croix toujours est liée à l’expérience de la miséricorde et aussi à la réponse qu’elle engendre en moi. Un signe visible de cette expérience du Christ miséricordieux qui appelle est la croix pectorale qu'il porte : c'est le bon berger qui porte sur ses épaules la brebis égarée et derrière il y a tout le troupeau rassemblé. Comment mieux montrer le salut (et la joie qui va avec) que le Seigneur est venu apporter et l'interpellation qu'il lance à notre liberté :
« Si un homme possède centre brebis et que l'un d'entre elles s'égare, ne va-t-il pas laisser les 99 autres dans la montagne pour partir à la recherche de la brebis égarée ? Et, s'il arrive à la retrouver, amen, je vous le dis : il se réjouit pour elle plus que pour les 99 qui ne se sont pas égarées. Ainsi, votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu'un seul de ces petits soit perdu. » (Mt 18, 11-12).
3. Une spiritualité qui prépare au combat
Après l’appel du Christ pour se mettre au service de l'annonce du Royaume, une autre méditation des Exercices Spirituels, les deux Etendards, est au centre de sa parole de pasteur. Pour vous faire percevoir la manière dont cette méditation façonne la manière de faire du pape François, voici un large extrait d'un discours qu'il avait prévu de dire à des jeunes rencontrés au Paraguay cette année. Comme souvent, il a laissé de côté le discours qu'il avait préparé pour être plus spontané et dire la même chose mais de manière plus interactive et sous la forme d'une conversation. Voici l'extrait du discours prévu. C'est un peu long. Mais cela vaut le coup.
Les retraites spirituelles - Saint Ignace a fait une méditation fameuse appelée des deux étendards. Il décrit d'un côté, l'étendard du démon et de l'autre, l'étendard du Christ. Ce serait comme les maillots de deux équipes de football et il nous demande dans quelle équipe nous aimerions jouer.
A travers cette méditation, il nous fait imaginer, comment ce serait d'appartenir à l'une ou l’autre équipe. Ce serait comme de se demander : avec qui veux-tu jouer dans la vie ?
Et saint Ignace dit que le démon pour recruter des joueurs, promet à ceux qui joueront avec lui richesse, honneurs, gloire, pouvoir. Ils seront célèbres. Ils seront tous exaltés comme des dieux.
De l’autre côté, il nous présente le procédé de Jésus. Rien de fantastique. Jésus ne nous promet pas les étoiles, il ne nous promet pas d’être célèbres, au contraire, il nous dit que jouer avec lui, c'est une invitation à l'humilité, à l'amour, au service des autres. Jésus ne nous ment pas. Il nous prend au sérieux.
Dans la Bible, le démon est appelé le père du mensonge. Celui qui promettait, ou plutôt, te faisait croire qu'en faisant certaines choses tu seras heureux. Et après, tu te rends compte, que tu n'étais pas du tout heureux. Et par la suite tu te rends compte que tu courais après quelque chose qui, loin de te procurer le bonheur, t'a fait te sentir plus vide, plus triste. Chers amis : le diable, c’est un vendeur d’illusions. Il te promet, te promet, mais il ne te donne rien, il ne va jamais rien accomplir de ce qu’il dit. Il est un mauvais payeur. Il te fait désirer les choses dont il ne dépend pas de lui que tu les obtiennes ou pas. Il te fait mettre ton espérance en quelque chose qui ne te rendra jamais heureux. C'est cela son procédé, c'est cela sa stratégie. Parler beaucoup, offrir beaucoup et ne rien accomplir. C'est le grand vendeur d’illusions parce que tout ce qu'il nous propose est fruit de division, de comparaison avec les autres, d’écraser les autres pour obtenir les choses. C'est un vendeur d’illusions, parce que, pour atteindre tout cela, l’unique chemin est de laisser de côté tes amis, de ne supporter personne. Car tout est fondé sur l'apparence. Il te fait croire que ta valeur dépend de ce que tu as.
A l’opposé, nous avons Jésus, qui nous offre son procédé. Il ne nous vend pas des illusions, il ne nous promet pas de choses apparemment grandes. Il ne nous dit pas que le bonheur sera dans la richesse, le pouvoir, l'orgueil. Tout le contraire ! Il nous montre que le chemin est autre. Ce Directeur technique dit à ses joueurs : Bienheureux, heureux les pauvres d'esprit, ceux qui pleurent, les doux, ceux qui ont faim et soif de la justice, les miséricordieux, les purs de cœur, ceux qui travaillent pour la paix, les persécutés pour la justice. Et il termine en leur disant : Réjouissez-vous de tout cela.
Pourquoi ? Parce que Jésus ne nous ment pas. Il nous montre un chemin, qui est vie, qui est vérité. C’est lui-même la grande preuve de cela. C'est son style, sa manière de vivre la vie, l'amitié, la relation avec son Père. Et c’est à cela qu'il nous invite. À nous sentir fils. Des fils aimés.
Si vous avez en arrière fond ces deux étendards, ces deux clans qui s'affrontent avec des armes si différentes, vous comprendrez mieux le discours de François à la curie, celui qui recense les maladies curiales. La spiritualité ignatienne est très marquée par la notion de combat spirituel. Ignace nous invite à repérer les tactiques du démon pour les dénoncer et s'en écarter, et les manières de faire de Jésus pour mieux les connaître et les suivre davantage. Et dans cet affrontement entre deux camps, c'est notre propre liberté qui se trouve au centre. Dans quelle équipe allons-nous choisir de jouer ? Quel entraîneur allons-nous préférer suivre ? Aucun chrétien, même pape, n'échappe à ce combat. On peut même dire que quiconque désire se mettre au service du Christ aura à affronter cette bataille et choisir son camp avec l'aide et la grâce de Dieu.
Un dernier écho de cette spiritualité de combat peut être trouvé dans le synode sur la famille de ce mois d'octobre 2015. Je cite ici un article de la Croix :
Revenant sur les trois semaines de discussions, parfois ardues et vives, plusieurs pères synodaux ont comparé le synode conduit par le pape jésuite à une retraite ignatienne. « Au départ, nous nous sommes découverts, puis nous avons traversé des moments plus tendus et même de brouillard, où des positions très diverses se sont exprimées, et nous nous sommes retrouvés dans la confusion », raconte Mgr Ulrich, qui a déjà vécu quatre synodes diocésains et provinciaux. « C’est un aspect du combat, poursuit-il, on ne sait pas très bien contre quoi l’on se bat d’ailleurs, et d’un coup, parce que c’est une expérience spirituelle, parce que l’Esprit Saint est présent, nous pouvons être d’accord sur un certain nombre de points qui font avancer le sujet. » Rien d’un « unanimisme » pour autant. « Même si le rapport a été adopté aux deux tiers, restent des points de résistance », note l’archevêque de Lille.
D’une certaine manière, le pape a agi comme un bon accompagnateur spirituel qui ne se laisse pas engloutir par le combat que vit le retraitant mais l’aide à le traverser en s’attachant au Christ pour entendre son appel.
4. La contemplation du monde tel qu'il est
Un autre trait important de la spiritualité ignatienne se retrouve parfaitement dans la manière de gouverner du pape François. Pour introduire ce point, voici une autre citation du journal la Croix toujours à propos du synode d'octobre 2015 :
Le grand gagnant du synode est, pour Mgr Jean-Marc Eychenne, évêque de Pamiers, « saint Ignace » : « son esprit et sa méthode qui invitent à rejoindre les personnes là où elles sont, voir si elles souhaitent avancer avec Dieu, et comment favoriser ce chemin avec le Seigneur… Tout cela ne peut être traité d’en haut par une loi générale. Il faut un accompagnement, dans le détail, de chaque situation ». Ce qui ne reviendrait pas à dire oui à tout le monde : « Pour certains, ce sera non, ou non pas tout de suite. Mais dans notre responsabilité pastorale, nous devons accepter d’être en butte à l’incompréhension. Ce sera difficile, mais la situation actuelle – le’non’ systématique - est tout aussi difficile et insatisfaisante. »
L'attitude est clairement présentée : regarder le monde tel qu'il est pour rejoindre les personnes où elles sont vraiment et en les écoutant au plus près ce qu'elles disent d'elle-même.
Ce regard contemplatif sur le monde ne s'oppose pas à l'action. Bien au contraire, il la rend encore plus nécessaire mais en l'enracinant dans le concret de la vie des personnes. Contemplation et action ne s'opposent plus. Les deux sont à tenir ensemble.
Dans la démarche ignatienne, la contemplation du monde est essentielle. Ignace la relie très clairement avec la décision de l’incarnation. C'est comme le porche d'entrée pour contempler ensuite la vie de Jésus. Cette contemplation de l’incarnation dévoile une manière de faire des jésuites et des ignatiens tout à fait caractéristique pour entrer dans un discernement, c'est-à-dire pour chercher et trouver la volonté de Dieu à propos de telle ou telle affaire importante, ou de telle ou telle décision à prendre.
Trait de la modernité, l’engagement de foi d’Ignace et de ses compagnons résonne comme une invitation à s’immerger dans la culture du temps. La foi en l’incarnation est présente dans leur spiritualité : « comment les trois personnes divines regardaient toute l’étendue ou la circonférence du monde entier, pleine d’hommes et comment, en voyant qu'ils descendaient tous en enfer, elles décident en leur éternité que la deuxième Personne se ferait homme pour sauver le genre humain. Et ainsi, quand la plénitude des temps fut venue, elles envoient l'ange saint Gabriel à Notre Dame.» (Ex. 102). Dans la démarche initiée par Ignace, il y a une belle insistance sur une manière de regarder : « voir en sa grande extension et circonférence du monde où se trouvent des peuples si nombreux et si différents» (Ex. 103). Et ce passage, célèbre : « voir les personnes, les unes et les autres. Celles qui sont sur la face de la terre, si différentes, aussi bien par leur costume que par leur visage : les uns blancs et les autres noirs, les uns en paix et les autres en guerre, les uns pleurant et les autres riant, les uns en bonne santé et les autres malades, les uns naissant et les autres mourant, etc. » (Ex.106). Il s’agit d’entrer dans le regard même de Dieu pour sa création : « Voir et considérer les trois Personnes divines, comme sur leur siège royal ou le trône de leur divine Majesté ; comment elles regardent toute la face et la circonférence de la terre, et tous les peuples en si grand aveuglement, et comment ceux-ci meurent et descendent en enfer » (Ex. 106).
Vous avez là l'urgence du pape François : que les baptisés entrent dans la contemplation du monde, pour se laisser toucher, comme Dieu, par le monde tel qu'il est et alors, avec le Christ, se laisser mettre en mouvement, nous qui sommes « ses serviteurs et ses amis qu’il appelle à cette expédition ».
Contempler le monde, le contempler vraiment dans ses dynamismes, ses pertes, ses aliénations, ses espérances. Comme le demande le Concile, avec lequel le pape est si à l’aise.
Le monde, ce monde. On cherchera donc à parler la langue et la culture de ses contemporains. Les seules réponses de la piété ou de la dévotion ne suffisent plus, la parole chrétienne doit être fondée en raison et en culture. A cause du regard de la foi, mais aussi pour viser une certaine efficacité, dans l’entreprise du salut. D’où cette attention très grande dans la spiritualité ignatienne à la fécondité qui surgit de la tension entre gratuité et efficacité, action et contemplation. C’est au cœur du monde et de sa culture, comme création de Dieu, que ce dernier est à rencontrer et à aimer. Pas hors du monde, ni à côté de lui, ni en surplomb, mais en son cœur. Là où Dieu se tient, dès l’origine. François partage cela.
Une remarque très importante. L’humanisation de notre monde contemplé est centrale. Vouloir servir Dieu au sein d’un monde défiguré par le mal et le malheur conduit aussi les ignatiens à être très sensibles au combat pour la justice et à un choix prioritaire pour les pauvres qui n’a rien d’optionnel. Elle les pousse à se battre pour la promotion de l’homme. Le combat pour la justice est l’un des lieux qui met radicalement avec le Christ, qui est le pauvre et l’ami des pauvres, contre toute injustice. D’où l’attention aux périphéries géographiques, existentielles du pape François. La note de « Aux frontières ». La première visite à Lampedusa. Sa préférence à aller dans des petits pays. La tradition de saint François Xavier. Les jésuites sont tout à la fois des hommes habités par une intériorité mais aussi et d’abord des missionnaires.
5. Vouloir ce que Dieu veut : le discernement spirituel
Il nous est devenu clair que la volonté de Dieu n’est plus donnée par l’inscription dans une société chrétienne, avec des dévotions à faire ou des devoirs à accomplir qui seraient suffisants pour réaliser son propre salut. Dans notre société sécularisée qui s’éloigne des références religieuses, la foi chrétienne n’est plus soutenue par l’organisation sociale. Elle se trouve désormais à un tournant : soit elle se délite et disparaît, soit elle trouve un souffle nouveau à partir d’une relation personnelle et personnalisante au Christ. Cela vaut pour chacun comme pour l’Église comme corps social. L’acte de foi a pris une dimension existentielle décisive : il ne suffit plus de dire que l’on est sauvé pour le croire, il faut en faire l’expérience.
Les Exercices ont beau avoir presque 500 ans, ils sont d’une étonnante actualité dans notre contexte. A travers eux, Ignace propose de faire l’expérience du choix de Dieu dans la disposition de sa vie. Ce choix s’incarnera dans un travail avec le Christ, pour le salut de tous. En se laissant choisir par Dieu, l’individu devient capable de le choisir dans le concret de son existence. Nous faisons l’expérience que la volonté de Dieu, c’est notre volonté quand elle se laisse éclairer par lui en vérité. En d’autres termes, pour trouver la volonté de Dieu, pas la peine d’attendre un message divin qui tombe du ciel, il suffit de regarder au-dedans de soi en mettant les lunettes de Dieu, que ce soit dans les grands choix existentiels de nos vies, comme dans l’ajustement quotidien à la manière d’être et de faire du Christ.
C’est à la joie que se connaît et reconnaît la volonté de Dieu et notre choix de la faire librement, mais cette joie est différente du bien-être auquel on est si attachés aujourd’hui. Nos cultures sont très marquées par l’univers des émotions, des sentiments et de l’affectivité sous toutes ses formes. Chacun est soucieux de son bien ou de son mal être, psy et gourous foisonnent pour prôner croissance ou « développement personnel ». Une certaine confusion règne aujourd’hui entre psychologie et vie spirituelle. D’où, chez beaucoup, le désir d’y voir plus clair.
En fait, ce qui bien plutôt est en jeu, c’est la compréhension de la manière dont Dieu lui-même se donne et se communique aux disciples de son Fils. La spiritualité ignatienne invite chacun à faire un travail d’interprétation de la volonté de Dieu à travers ce qui lui arrive, avec comme boussole la joie et la consolation spirituelle. C’est dans l’expérience de la joie reçue d’un Autre, la joie qui vient de Dieu, que j’éprouve la justesse et la vérité des choix posés, que j’apprends à relire les traces de Dieu dans ma vie. C’est une joie qui n’est pas forcément exubérante et qui peut même être paradoxalement éprouvée dans des moments difficiles.
Pour accueillir cette joie qui vient de Dieu d’une manière juste, il n’y pas d’autre chemin que l’attention aux alternances des mouvements intérieurs de joie et de tristesse qui viennent signer la réalité du quotidien. Celles et ceux qui vivent de l’esprit d’Ignace apprennent à se laisser conduire par l’Esprit au plus près de leurs actes en osant se fier à l’intelligence du cœur. Si l’on perd de vue l’importance capitale de ce point, on vide l’approche ignatienne de sa substance la plus profonde.
Tout ce qui a été dit jusqu’à présent, de l’appel du Christ et de l’attachement à lui, du service des hommes et de l’Eglise, du choix de Dieu, tout disparaît, si la conduite de l’Esprit est oubliée, ou relativisée.
Un hebdomadaire chrétien a écrit que la « méthode » ignatienne « constitue sans doute la voie de « développement personnel » chrétienne la plus structurée ». Or si on réduit les Exercices à une méthode pour faire des choix, si on retiens juste qu’il faut faire 4 colonnes pour faire un discernement, alors ça peut toujours être une bonne aide à la décision qui fait appel au bon sens, mais ce n’est pas du discernement ignatien.
Cette notion de discernement est une clé pour comprendre la manière dont le pape François vit sa relation personnelle au Christ, son désir d'annoncer la bonne nouvelle aux autres et sa manière de gouverner l’Église pour qu'elle soit davantage docile à l'Esprit Saint.
En guise de conclusion
Le Cardinal Martini disait que comme évêque de Milan il cherchait à faire vivre à son diocèse quelque chose de la démarche des Exercices. Je soupçonne le pape François d’en faire autant avec l’Eglise universelle. C’est sans doute pourquoi ceux et celles qui vivent de la spiritualité ignatienne se sentent en terrain connu et en connivence avec lui.
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