Quelques fruits de l atelier d'écriture pour la passion 2021







 
Paul, Je t'écris pour te narrer ma réussite , C'est le jour, la lumière est claire, intense et aveuglante. Un vent perceptible aux oreilles souffle un air, où la tension s'entend dans le frottement des tissus des vêtements de chaque soldat, dans le choc des armes proches les unes contre les autres, et dans les bruits des pas sur le chemin.Le groupe portant les bâtons avance. Je le mène. J'ai en tête mon projet, qui martèle mon esprit. Je dois réussir. Nous arrivons bientôt, mes idées se bousculent, avec mon cœur qui bat, au rythme des pas pressés par la tension qui croît. Le groupe est derrière moi. Je conduis ceux qui me suivent vers Jésus. C'est par le contact d'un baiser que je dois le livrer. Jésus est présent, nous l'avons trouvé. Je le prends sans penser à lui, moi je ne risque rien. Je l'embrasse, les soldats l'attrapent par le bras, lui secouant l'épaule. Il se laisse faire, il ne lutte pas, ne fait pas de gestes brusques, mais manifeste son étonnement par une protestation. Moi, je m'écarte, ayant accompli mon projet jusqu'à sa fin.Judas

Jésus, J’ai besoin de t’écrire ce soir, soir où mes yeux ne te voient plus mais où je respire ta présence à jamais lumineuse et qui me porte vers ma mission. Demain je me mets en route ; je vais prendre soin de tous ceux que tu aimes, « tes brebis » dis-tu, -vaste tâche- dont tu me dis pourtant capable. Si je t’écris, c’est pour déplier  les fils où se sont emmêlés mes pas maladroits,  trouver enfin ce que, toi, tu as pu trouver en moi pour fonder ainsi la confiance que tu me fais. Évidemment c’est pour moi que j’écris, car toi tu sais tout et tu sembles même avoir voulu garder pour Pierre toutes les contradictions de Simon. Oui je suis capable du meilleur - quand tu le veux et m’interpelles, capable aussi du pire quand je suis livré à moi-même. Ainsi au Jardin de Gethsemani ; ce soir-là, comme tant de fois dans notre vie commune tu m’as choisi, élu ; tu m’as dit : « Viens, viens prier avec moi ». Là il faisait doux, les feuilles des oliviers griffaient tendrement le rose du couchant mais très vite ton front s’est obscurci et tu t’es éloigné, nous disant de rester éveillés. Comment ai-je pu te laisser aller seul, t’abandonner dans ta souffrance, et m’endormir entre Jacques et Jean, comme si rien ne menaçait notre nuit, comme si ces mots d’espoir et d’avenir, posés sur la table de cet étrange repas dont nous sortions : «… quand je serai à nouveau vivant » suffisait à calmer cette angoisse diffuse qui nous habitait. Ton reproche : « Simon, tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? » Oui, seigneur, je sais désormais ce que veut dire : « la chair est faible et la tentation puissante » : mes paupières étaient lourdes et chaudes et je me suis par deux fois rendormi sur le tapis odorant des feuilles des oliviers. Il a fallu qu’au troisième réveil tu dises : « C’en est fait, l’heure est venue d’être livré, mis au rang des scélérats » pour que la douceur du soir éclate dans ma tête et qu’une écume amère me remonte au bord des lèvres. Et malgré ça j’ai laissé faire, j’ai laissé Judas marquer ta joue du fer rouge de son baiser, j’ai laissé les serviteurs des scribes et des anciens t’emmener «  comme un scélérat » et c’est de loin, de très loin que je t’ai suivi jusque dans la cour du palais du grand prêtre. Là, mêlé aux serviteurs autour du grand feu je me suis laissé prendre à nouveau par la douceur de son crépitement. Et c’est, engourdi de chaleur, que j’ai ignoré la question soupçonneuse de la petite servante qui me disait que je faisais partie de ta bande. J’étais pris, fasciné par ce que je distinguais vaguement par la porte entrouverte de la salle où l’assemblée t’interrogeait. J’écoutais ton silence au milieu des cris, des rires mauvais et des mots jetés : blasphème, mérite la mort ;  je ne voyais que ton dos : à peine un frémissement de ta tunique quand certains te crachèrent dessus puis te giflèrent ; un simple recul quand d’autres commencèrent à te bourrer de coups. Et moi, au lieu d’aller frapper ces malotrus qui osaient te toucher, je laissais le feu brûler mes semelles et m’entendis répondre pour la deuxième fois, comme une parole venant d’un autre que moi, que je ne te connaissais pas. Et à l’aube, à la fin de l’interrogatoire alors que tu traversais la cour, le dos voûté, entraîné par les gardes, je sentis monter à ma bouche une glaire visqueuse et je te reniai pour la troisième fois. Un coq chanta ; tu te retournas et ton silence hurla ta prédiction d’ hier soir : ma triple trahison, avant le lever du jour annoncé par ce coq de malheur. Ton regard plongea jusqu’au tréfonds de moi et toute ma honte éclata en sanglots. À partir de là je ne sais plus ce que j’ai fait : me cacher dans la foule ou au désert, chercher refuge auprès des compagnons, courir au matin voir ton tombeau vide et te voir « à nouveau vivant» au milieu de nous. Que de tempêtes et d’ébranlements pour commencer à  comprendre. Une dernière chose : à Tibériade si tu as voulu que je te dise par trois fois mon amour, c’était bien pour tordre le cou au coq de mon triple reniement ? Pour que je puisse m’engager, sans m’en juger indigne, dans l’immense mission que tu me donnes : aimer comme tu nous as aimés et prendre soin de ton peuple ? Seigneur je vais partir, par amour de toi et pour le service de ton nom. Je te rends grâce de m’avoir appelé à te suivre, d’avoir secoué mes sommeils, calmé mes impulsions ; et d’avoir sans cesse voulu reconnaître Pierre sous les faiblesses de Simon.Pierre

Cher Ami, Ils sont vraiment particuliers et chiants ces juifs. Tu sais je ne reste ici que parce que j’y suis obligé, mais ce peuple il faut arriver à le comprendre. L’autre jour ils m’amènent un mec bizarre pour que je le condamne à mort. Et tu sais pourquoi ? Parce que soi disant il avait dit qu’il était leur roi et qu’il l’était pas... enfin je n’ai rien compris. Mais c’était tous les chefs religieux qui me l’avaient amené et je ne savais plus quoi  faire. Lui, avait l’air d’un pauvre type, mystérieux, qui ne disait presque rien, mais tu ne le croiras pas, il m’a fait de la peine et je n’avais pas envie de céder aux caprices de ces cons de religieux. Ils m’ont dérangé en plein repas et il a fallu que je sorte. Au début il faisait soleil mais des nuages sont montés, de plus en plus noirs, avec un vent frais. Tout d’un coup je me suis rappelé une vague tradition, je sais même plus si c’est chez eux, qui dit que pour leur grande fête, ils peuvent me demander de libérer un condamné. Tu parles  que j’ai saisi l’occasion et que je leur ai proposé ce type. Mais tu ne sais pas qu’ils ont excité les gens qui étaient là, qu’ils en ont fait venir d’autres et c’était une foule qui s’est mis e à crier contre ce …ah oui, Jésus, c’est comme çà qu’ils l’ont appelé. Et ils ont crié de plus en plus fort et finalement je me suis fait avoir, j’ai été obligé de relâcher Barabas qu’on avait eu tellement de mal à arrêter… mais j’ai peur pour lui qu’il ait eu un petit accident en sortant de la prison.Alors je me suis retrouvé en face de l’autre qui priait. Du coup je me suis lavé les mains pour qu’ils sachent que ce n’était pas mon problème. Et bizarrement je me suis mis à transpirer, moi aussi, et j’avais bien envie de m’asperger le visage avec l’eau. J’ai fini avec un mal au dos… Et tu ne sais pas la meilleure : j’avais autorisé un de leur notable à ce qu’il soit mis dans un tombeau. Et bien il parait que quelqu’un est venu voler son corps…Ils sont fous ces juifs ! Bien à toi. Ponce Pilate

Ma chère Rachel, Il faut que je partage avec toi, mon amie, la grande douleur qui me déchire le cœur. Toi aussi, tu as connu Jésus de Nazareth, celui qui se dit fils de Dieu, le Messie, cet homme bon et généreux, plein d'amour pour les hommes, ami des pauvres, des femmes, des enfants. Toutes deux nous l'avons parfois accompagné, nous avons entendu ses paroles réconfortantes, croisé son regard empreint de compassion. Aujourd'hui, je l'ai vu sali, calomnié, torturé, mis à mort. J'étais dans la foule qui se pressait devant le Sanhédrin puis devant le palais du gouverneur romain, Ponce Pilate. Des flots de mensonges l'accablaient de tous les maux. Il gardait le silence, comme un agneau à l'abattoir. Et Pilate, ce grand lâche, j'ai bien vu que sans les grands prêtres, il aurait libéré Jésus. La foule hurlait, même si j'ai vu des gens se taire et partir, bouleversés, pour ne pas assister à ce déni de justice. Ensuite, quand les légionnaires romains l'ont ramené, tout ensanglanté, devant la foule qui grondait et se réjouissait de cet horrible spectacle, j'ai suivi le cortège qui montait au Golgotha. Dans les rues étroites le piétinement de la foule soulevait la poussière, si bien que nous étions nimbés d'une luminosité jaunâtre. Les soldats bousculaient les badauds hilares, les fouets claquaient. Ça sentait la crasse, la sueur, le poisson, le cuir, le sang. Il y avait un brouhaha invraisemblable. A un moment, Jésus est passé tout près de moi et des autres femmes. Il saignait de partout, son beau visage crispé de douleur. Il nous a regardées. Mon cœur battait à tout rompre d'émotion contenue, non pas parce que son regard pénétrant s'était posé sur nous, mais parce que je ne pouvais rien faire pour lui, l'impuissance m'étouffait, les mots me restaient en travers de la gorge, les larmes m'aveuglaient, j'avais envie de hurler. Sans réfléchir, j'ai enlevé mon voile et ai essuyé son visage. Il m'a souri, mais les soldats sont intervenus, l'ont remis sur pied et obligé à avancer. La foule hostile s'est remise en route, celles et ceux qui aimaient Jésus se plaquaient contre les murs. A quoi bon intervenir ou crier son désaccord ? Nous aurions été mis en charpie par ceux dont le cœur était sourd à la compassion. Et pourtant, je suis quand même arrivée, moi aussi, au Golgotha, restant en retrait de sa mère et de ses amis proches. Oh, le bruit des marteaux enfonçant les clous ! C'était atroce. Comment peut-on faire une chose pareille à son semblable ? C'était affreux, j'en avais mal partout. Je suis restée là, pantelante, à pleurer toutes les larmes de mon corps, jusqu'à ce que l'inéluctable advienne. Mort, il était mort ! Certes délivré de toutes ses souffrances, mais nous laissant dans la nuit du deuil et de l'affliction, déchirés par la séparation d'avec un être exceptionnel. Inutile de te dire combien je suis révoltée et en colère. Un innocent a été mis à mort de la façon la plus cruelle. Comment Dieu, notre Père, peut-il accepter ce sacrifice barbare ? Il a retenu le bras d'Abraham et aujourd'hui, il n'est pas intervenu pour sauver son fils ? S'il te plait, ma chère Rachel, explique-moi ce grand mystère. Véronique

Chère Christine, Cette lettre pour partager avec toi une rencontre que je viens de vivre et qui demeure pour moi unique, incroyable, bouleversante, qui ne restera pas sans suite ! Imagine-toi qu’en rentrant du travail, fourbu par ma journée commencée à l’aube, crotté d’avoir travaillé aux champs, suant à grosses gouttes  en ce début d’après-midi, je croise un convoi sinistre. Un gars, épuisé, portant sa croix entrain de monter ce chemin que tu connais bien. A chaque pierre il trébuche et risque de s’écrouler. Autour il y a du monde, certains qui pleurent, d’autres qui l’injurient, les soldats qui le frappent pour avancer plus vite. Le pauvre bougre risque de ne pas arriver en haut de la colline. Et imagine qu’à ce moment là un des soldats m’attrape et me colle derrière lui pour porter avec lui la croix. Pas le choix ! Obligé d’obéir aux ordres ! Mais tout à coup que devenait ma fatigue ? Rien de comparable avec la sienne. Et tant bien que mal je me suis mis à le suivre, à mettre mes pas dans ses pas. J’étais collé à lui, percevant sa respiration haletante, respirant le mélange de sang et de sueur qui traversait sa tunique. Il avait dû être bien roué de coups pour être dans cet état. Ils avaient même mis sur sa tête une couronne d’épines. J’avançais à son rythme, et le poids de la croix n’était plus rien, comparé au poids de cet homme que j’avais de plus en plus envie d’aider et que je ne voyais que de dos. Et une  sorte de connivence s’est établie entre nous. Un avec lui, j’entends  comme lui,  les cris, les quolibets, les jurons des soldats, comme dans un lointain murmure et je ne cherche qu’une chose, être près de lui , avec lui. Expérience mystérieuse ! Qui est-il donc pour venir me rejoindre au plus profond de moi-même ? C’est lui au bout du compte qui me porte, porte le poids de ma misère. Qui suis–je  pour qu’il me donne de vivre avec lui, près de lui ? Arrivé au but,  j’ai déposé mon fardeau et nous nous sommes regardés. Un regard inoubliable et j’ai vu enfin,  le visage défiguré de Jésus, que j’avais eu l’occasion de voir une fois et que tous prenaient pour un prophète venu de Dieu. Je suis parti sans attendre, bouleversé d’avoir été si proche de celui en qui Israël mettait son espérance, et avec au fond de moi cette interrogation : pourquoi ? pour qui ? sinon pour moi et qu’en faire maintenant ? sinon chercher  à retrouver ses amis. Simon de Cyrène

Cher ami centurion, Il fallait que j’écrive et c’est vers toi mon ami que je me tourne, Centurion ! Nous partageons tant déjà, et tu sais notre mission, tu connais nos devoirs de soldats… Aujourd’hui un fauteur de trouble a été amené à Pilate par une foule de juifs excités et violents. Nous n’avons pas aimé ce tumulte et toute la garde en alerte se tenait sur la défensive, lance en main prête à agir contre tant de désordre. Pilate a voulu comprendre le chef d’accusation porté contre l’homme ; le nommé Jésus ne s’est pas expliqué, il ne s’est même pas défendu- il s’est fait silencieux. Même un meurtrier comme Barabas a été préféré par la foule pour être gracié, et elle a hurlé à « mort ! », elle a voulu la crucifixion pour ce Jésus ! Nos frères d’armes ont été appelés et tous se sont réjouis de l’aubaine dans un défoulement d’humiliations et de coups sur le prisonnier. Enfin, nous l’avons emmené avec la troupe au Golgotha. Celui qui a été appelé « Le Roi des Juifs » a été dressé sur la croix entre celles de deux brigands ! Tout autour on lui hurlait des insultes, on le mettait au défi de se libérer lui-même, lui le Messie, le Sauveur ! Et puis brusquement, la clarté de midi a disparu, et tout s’est soudainement assombri pour entrer… dans autre chose. A trois heures, celui qui agonisait sur la croix a crié vers son Dieu toute sa douleur, son angoisse et sa peur. J’étais bouleversé, qui d’autre comprenait ? ... alors IL est mort et moi JE L’AI RECONNU. Ton ami centurion

Joshua, Je rentre à l'instant du cimetière. Il fait maintenant nuit noire. Je viens juste d'achever ta mise au tombeau dans le roc. Avec mes deux serviteurs, nous avons roulé une pierre devant l'entrée, afin qu'aucune personne, mal intentionnée, ne vienne voler ton corps. Je suis à la fois triste et profondément heureux d'avoir pu te donner une dernière demeure correcte. Je n'aurais pas supporté l'idée qu'on te jette dans la fosse commune, comme un chien, un moins que rien. Tu sais, je n'étais pas d'accord pour qu'on te mette à mort, je l'ai dit au Conseil, mais ma voix n'a pas eu assez de poids pour s'opposer au désir de la majorité «  éclairée » qui souhaitait une mort exemplaire pour calmer l'excitation des insurgés. Quand nous t'avons décroché de la croix, mes serviteurs et moi, j'ai touché ton corps : ta peau était encore tiède, j'ai fermé doucement tes yeux et j'ai regardé ton visage. Tu n'étais pas beau à voir, couvert d'ecchymoses et de traînées de sang séché. Pourtant, une force extraordinaire émanait de toi, à tel point que je n'arrivais pas à te quitter des yeux, j'étais comme aimanté. Tu n'étais pas mort depuis très longtemps ( trois quart d'heure au plus ) et la densité de ta présence charnelle était encore palpable. Pilate, lui même, s'est étonné de la rapidité de ton agonie : « Il est déjà mort ? » m'a t-il dit, quand je suis allé lui demander l'autorisation de te descendre de la croix pour coucher ton corps en terre. Je t'ai enveloppé dans un linceul blanc , tout neuf que j'avais en réserve. Tout être humain devrait avoir droit à des funérailles décentes, c'est une honte ces fosses communes ! De ton vivant, je n'ai pas eu l'occasion de te rencontrer mais j'entendais beaucoup parler de toi, Joshua. Je crois que tu étais quelqu'un de bien, de bon, mais complètement illuminé ! Quelle idée t'a pris de vouloir monter à Jérusalem, en pleine Pâques, de prendre le risque d'être arrêté ? Tu aurais pu te cacher, quelque temps, quelque part, attendre que les tensions sociales s'apaisent, au lieu d'aller te jeter dans la fournaise des agitateurs ! Qu'est-ce qui t'a pris ? Vraiment, je ne comprends pas. Joseph d'Arimathie

J’ai besoin de te parler, Nicodème. Je sais que toi, tu me comprendras. Hier soir, ils ont réussi à éliminer Jésus, oui, tu sais cet homme –je crois que tu le connais aussi un peu – jeune, galiléen, qui semble habité par une force et une autorité surprenantes, qui a des paroles qui m’interpellent car elles éveillent en moi comme un désir plus grand de vie, une confiance plus grande en Dieu. Il dit que Dieu est comme un abba. Oui, ils ont réussi à le faire crucifier. Il est mort vers trois heures de l’après-midi. Je l’ai appris par des femmes qui le suivaient et l’ont vu mourir. Cela m’a complètement bouleversé d’apprendre qu’il était là, suspendu à ce gibet honteux, comme un criminel. Je ne pouvais supporter l’idée de savoir son corps exposé, seul, nu, soumis à la risée des passants ou à leur indifférence.  Si on ne faisait rien, il était condamné à rester là toute la nuit et tout le lendemain - car c’est aujourd’hui le sabbat –  peut-être à la merci des rapaces : lui, cet homme qui avait en lui cette grandeur d’âme extraordinaire qui m’interrogeait et me donnait l’envie de l’écouter. Cela m’était impossible d’imaginer le laisser là, sans rien faire, sans que personne ne s’en préoccupe. Alors j’ai osé tenté quelque chose, malgré les risques : je suis allé trouver Pilate, oui Pilate lui-même, et…il m’a laissé faire ! La nuit commençait à tomber, tu sais, une nuit fraîche de début de printemps. J’ai rejoint la petite butte de Golgotha. Il y avait encore quelques passants qui s’arrêtaient un moment, faisaient quelques commentaires qui m’étaient insupportables, puis s’éloignaient, indifférents. Des femmes amies de Jésus étaient encore là, elles retenaient leurs larmes pour ne pas se faire trop remarquer. L’une d’elle a éclaté en sanglots quand je me suis approché avec mon drap banc. Il a fallu que je monte sur une échelle pour détacher ses bras accrochés par des clous. Sa peau était encore tiède, je me tâchais avec son sang qui n’était pas encore complètement coagulé et dégageait une odeur âcre. Avec précaution et le plus délicatement possible, j’ai pris son corps d’homme jeune et robuste dans mes bras. Il était lourd et s’abandonnait entre mes mains. J’avais envie de lui dire combien je l’écoutais quand il parlait, lui dire merci pour l’espérance, la joie qu’il nous apportait, la confiance et l’amour qu’il communiquait. Il ne me connaissait pas mais je lui devais une reconnaissance immense. Je sentais sa peau contre la mienne et j’étais rempli d’un respect infini. Avec quelques amis, nous avons pu rejoindre l’endroit où j’avais une tombe toute prête et inoccupée. Dans le jardin on pouvait respirer l’arôme des plantes que la fraîcheur de la nuit amplifiait, cela faisait  comme un manteau de douceur odorante qui enveloppait ce corps supplicié. Nous l’avons enveloppé délicatement dans le drap que j’avais amené. Que se dégageait-il de si fort, tandis que nous l’entourions de bandelettes ? Où était-il, lui, ce Jésus, que j’avais rencontré un jour et écouté avec tant de surprise et de bonheur ? Se pouvait-il qu’il soit à jamais disparu de  la terre des vivants, lui qui disait : « je suis le chemin, la vérité, la vie » ? Nous l’avons déposé dans le tombeau, que nous éclairions avec nos lanternes, et avons repoussé la pierre sur lui. Un grand silence recouvrait le lieu quand nous sommes repartis à pas lents. Une question lancinante m’habitait : où était-il à présent ? Une certitude s’installait doucement en moi : ses paroles ne peuvent avoir disparu avec lui, puisqu’elles me font vivre. Je devinais qu’un travail de mémoire allait commencer. J’avais envie de te rejoindre, Nicodème, pour parler avec de lui avec toi. Joseph d’Arimathie




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